Le Pays sans Adultes de Ondine Khayat
Quand Suzanne de "Chez les filles" m'a proposé ce livre, j'ai hésité un quart de seconde (c'est beaucoup pour une boulimique de lecture telle que moi!). Le sujet : deux jeunes garçons ainsi que leur mère battus par un père que les enfants appellent le Démon m'aurait promptement fait fuir dans une librairie. Et j'aurais eu tort de passer à côté car ce récit m'a bouleversée bien malgré moi. J'avoue que je craignais aussi "l'aspect poétique" de l'écriture. J'adore la poésie mais c'est un domaine dans lequel je déteste la médiocrité .
Le lecteur est pris par l'histoire de Slimane, onze ans et de son grand frère Maxence, treize ans, qui affrontent au quotidien la violence folle de leur père. Maxence protège par tous les moyens (et quels sont-ils ? l'imagination et les mots) son petit frère du désespoir qui chaque jour les étreint. Slimane dit de Maxence qu'il cuisine les gens.
" Moi, par exemple, j'ai la chair bien tendre, comme un carré d'agneau, et il m'attendrit encore plus. Quand il me parle, il m'aromatise avec ses mots, il saupoudre des pincées de vie sur moi. Il me mélange, il me pétrit, et il me laisse reposer. Surtout, il prend soin d'enlever la mauvaise graisse qu'il y a autour de moi, tous ces résidus de Démon qui gâteraient même les meilleurs morceaux."
Ce grand frère lui a fabriqué pour son anniversaire des ailes d'ange en papier.
" On les a peintes en bleu, parce que je trouvais ça chouette de transporter le ciel sur mon dos, on a dessiné plusieurs soleils parce qu'un seul pour tout le monde c'est beaucoup trop peu, on a mis des tas d'étoiles filantes pour pouvoir faire des voeux, des coccinelles parce que ça porte bonheur, des fleurs parce que ça sent bon, et des papillons multicolores pour faire joli. Maxence, il dit que je dois les enfiler chaque fois que le Démon hausse la voix, pour qu'elles me protègent de sa haine."
Mais un jour, usé peut-être de jouer les paratonnerres, Maxence va se pendre et Slimane devra affronter la vie sans lui, sans les yeux magiques du grand frère qui savait voir la beauté au coeur de l'horreur.
"Mon coeur ne battra plus jamais comme avant. Il ne battra plus sans Maxence. C'est lui qui le réparait quand il déraillait. C'est lui qui lui parlait quand le Démon nous ensevelissait sous sa violence. Plus rien ne battra dans ma poitine maintenant. Mon coeur résonnera dans le vide."
Slimane tentera alors de rejoindre son frère au Pays sans Adultes mais sa tentative de suicide échouera . Certaines personnes l'aideront à retrouver le goût de la vie, un psychiatre compréhensif, le docteur Lemoine :"Le docteur Lemoine fait tout pour m'apprivoiser. Il tend la main vers moi, et il attend que je vienne la renifler",
la douce Valentine, légère comme une plume ou pour dire les choses anorexique, qui saura réparer son coeur cassé : "Elle a pris le flacon de mercurochrome qu'elle avait dans la main, elle m'en a badigeonné le coeur, et elle a collé un beau pansement dessus"
Et il y aura sa mère, qui sera enfin parvenue à se détacher de son mari ! Elle pourra alors offrir à Slimane la vie dont il rêvait, oh pas une existence de luxe, non un bonheur modeste qui n'ose pas trop dire son nom.
"notre nouvelle vie qui s'étale devant nous comme de la pâte feuilletée. sauf que maintenant, c'est nous qui choisissons la garniture."
Merci aux éditions Anne Carrière de m'avoir permis de découvrir et de parler de ce beau roman.