chapitre 3 :Veillée d'armes pour Odile
Odile vérifia fébrilement une dernière fois son cartable, il était une heure du matin mais elle ne parvenait pas à trouver le sommeil. La chargée aux affaires sociales de la mairie lui avait laissé entendre que si les cours du mois d'août se déroulaient bien, elle pourrait assurer l'aide aux devoirs pendant l'année scolaire au centre Pablo Neruda, un local situé dans un quartier difficile de la ville. Cette perspective l'enchantait, elle avait des parfums de croisade : Sainte Odile apportant le savoir à des populations assoiffées de connaissances...
Une inquiétude la tarauda soudain : le tee-shirt lilas imprimé floral de chez Damart qu'elle comptait porter demain ne faisait-il pas trop jeune ? Elle avait cédé à la tentation en lisant la description du catalogue : "mariage heureux de la viscose fluide et de l'élastanne qui vous laisse bouger librement" mais là, le doute... C'était la première fois qu'elle faisait des infidélités à la CAMIF et elle avait le sentiment de prendre un risque.
Allez, au lit, se dit-elle mais avant un dernier coup d'oeil sur sa messagerie électronique ! Et oui , notre héroïne s'était mise à l'informatique. Le charmant petit jeune homme de la FNAC lui donnait des cours à domicile qu'elle payait très cher sans rechigner. Elle comprenait que son cas ait pu, au début, sembler désespéré. Elle en riait maintenant mais il y avait quinze jours, elle craignait que le PC n'explose quand elle appuyait sur le bouton pour l'allumer. Il faut dire que les messages "erreur fatale" (ou plutôt fatal error) qui apparaissaient sans cesse n'avaient rien fait pour la rassurer. Maintenant, sans surfer comme un geek, elle avait compris les grands principes du web et rejoint une association de latinistes dissidents appelée "Cicéron, une fausse valeur ?" dont le site sulfureux lui donnait des frissons de plaisir. Tout rapport avec Josette Chamieux serait pure coïncidence, Odile ne pratiquait pas ainsi l'art de la vengeance, quoique...
Elle finit par sombrer dans les bras de Morphée et la sonnerie du réveil la surprit en plein rêve : elle guidait ses futurs élèves sur le chemin de la lecture et ils la suivaient comme les enfants le joueur de flûte de Hamelin. Vite, elle émergea des couvertures, vérifia d'une main anxieuse que sa permanente serrée avait bien tenu le coup et sautilla jusqu'à la cuisine où l'attendait son petit-déjeuner d'antan, du temps où elle était en activité : flocons d'avoine, tartines grillées et au lieu de sa traditionnelle Ricoré un bol de vrai café. Jamais elle ne s'accordait le moindre excitant mais aujourd'hui était un jour particulier ! Petit tour dans la salle de bain, habillage rapide et hop, départ pour la mairie et la petite salle où devaient se dérouler les cours.
Arrivée sur les lieux, le coeur battant la chamade, Odille poussa la porte de la salle et découvrit avec, comment dire, stupeur, sa mini classe . Au début, elle ne vit que des taches de couleurs : tee-shirt Spiderman rouge sang et bleu agressif, robe Barbie girl à paillettes, sweet-shirt orange avec un magnifique orang-outan et maillot de foot "Allez l'O-M !"... A l'arrière-plan, elle distingua des parents qui la dévisageaient avec un air qu'elle trouva sceptique. Pas de doute, pensa-t-elle, le tee-shirt Damart était trop frivole. Soudain, une petite voix pointue, qu'elle apprendrait à mieux connaître s'éleva dans le silence pesant :
"Dis, maman, pourquoi elle a de la moustache, la dame ?"