Les enfants de Staline de Owen Matthews
Le Grand Prix des Lectrices de Elle 2010 semble être placé sous le signe du communisme disséqué au scalpel : après Enfant 44 de Tom Rob Smith (un policier), Mausolée de Rouja Lazarora (un roman), j'ai donc lu ce récit où l'auteur retrace l'épopée familiale de l'exécution de son grand-père lors des purges staliniennes, au combat de son père, Gallois, pour épouser Ludmilla, jusqu'à son propre séjour à Moscou dans les années 1990 en tant que journaliste.
Owen Matthews accomplit dans ce livre un travail de mémoire. Il reconstitue la vie de son grand-père, Boris Bibikov, de son ascension fulgurante au sein du Parti au coup de revolver dans la nuque pour s'être rangé dans le camp de ceux qui émettaient des réserves sur les méthodes de Staline. Il finit broyé par un système dont il fut un pionnier enthousiaste, triste ironie du sort. L'auteur s'attache ensuite au destin de celle qui le mettra au monde, privée de sa mère à l'âge de trois ans. En effet, l'entourage d'un "traître" doit aussi être puni et sa grand-mère sera conduite au goulag peu de temps après la mort de son mari.
S'en suit pour Ludmilla et sa soeur Lénina des années de survie dans une Russie où la Seconde Guerre Mondiale puis le strict régime communiste ne parviennent pas à étouffer complètement leur soif de vie, de bonheur et de liberté.
La vie de Ludmilla va basculer lors d'une rencontre... Elle fait la connaissance d'un jeune universitaire gallois, russophile, que le KGB tente de recruter : Melvyn Matthews. Celui-ci refuse la proposition des services secrets et il est contraint de quitter le pays. Pendant six ans, l'un en Angleterre, l'autre en Russie, ils vont correspondre pour garder ce lien né entre eux. Leurs lettres, souvent citées par l'auteur, sont émouvantes et donnent à voir l'absurdité de leur situation : deux amoureux qu'un système idéologique sépare sans raison réellement valable et qui entretiennent leur flamme du mieux qu'ils peuvent à travers les mots échangés d'un continent à l'autre.
A travers ce récit,Owen Matthews part à la recherche des siens mais c'est surtout lui qu'il trouve. Il prouve, s'il est encore besoin de le prouver, que connaître son passé, c'est aussi se connaître, d'où l'importance de l'enseignement de l'Histoire. Il n'est pas inutile de le répéter dans ces temps de restrictions budgétaires où les élèves qui se destinent aux sciences n'auront bientôt plus d'Histoire au programme en Terminale...