Le charme a opéré...
Dany Laferrière nous parle de son enfance haïtienne mais chacun, je crois, peut aussi y retrouver des bribes de la sienne. Il fait revivre Da, sa grand-mère maternelle chez laquelle il vit à Petit-Goâve, loin de Port-au-Prince où réside sa mère. L'amour et la complicité qui les lient apparaissent avec d'autant plus de force qu'ils demeurent implicites. Le lecteur découvre toute la richesse de leur relation à travers les anecdotes du quotidien, racontées en de très courts chapitres. Da, grande "prêtresse" du café (une femme selon mon coeur !) en prépare toute la journée et ses amis et connaissances passent la voir pour goûter son breuvage inimitable. Elle rappelle souvent à Dany le passé de leur famille, leur commerce du café et leur ruine lors d'une énième crise qui secoua le pays. Elle lui apprend que cette maison qui les abrite, elle l'a construite de ses mains avec son mari, avalant sa salive pour tout repas. L'extrême pauvreté du pays transparaît presque à chaque page mais ne semble pas être vécue comme une calamité tant que l'insécurité et la violence ne viennent pas s'y ajouter.
L'auteur rend hommage dans ce livre à celle qui l'a élevé mais fait revivre aussi ses amis d'enfance, Rico et Frantz et les jeunes demoiselles qui "agaçaient" leurs sens : Fifi, Didi et surtout pour lui, Vava et ses grands yeux noirs.
Il ressuscite aussi le petit bourg où il vivait, le marché, le salon de coiffure où se tenaient les tournois d'échecs qui opposaient les notables du lieu, la galerie de la maison où Da et lui venaient chercher un peu de fraîcheur et les échos assourdis du dehors.
Lui revient encore les mangues qu'il mangeait à même la bassine, à la façon d'un petit cochon, les repas achetés contre l'avis de sa grand-mère à Izma dont le fils tuberculeux était cantonné dans une petite cabane au fond de la cour.
Et puis surgissent des souvenirs plus douloureux, l'arrestation des intellectuels de la ville et l'instauration d'un couvre-feu, tout cela parce qu'une révolte contre le gouvernement s'est éveillée dans un endroit très éloigné de Petit-Goâve mais qu'un rebelle serait originaire d'une localité près de celle-ci. A l'évidence, c'est surtout un moyen pour le préfet de règler des comptes personnels sous couvert d'ordres venant de plus haut. Ces événements vont provoquer le départ de l'auteur, sa mère préfèrant le rapatrier à Port-au-Prince . Da et son petit-fils vont se séparer et cette blessure, cette cassure, ils la porteront en eux pour toujours.
En écrivant ce livre, je crois que Dany Laferrière s'est offert un retour en enfance pour y retrouver ceux et celles qui ont fait de lui l'homme accompli, l'écrivain, le conteur que nous connaissons. C'est un lecture qui m'a enchantée et qui augure, je l'espère d'aussi belles découvertes pour l'été qui commence avec "ses après-midi sans fin"...