Houellebecq me poursuit...
Tous les dimanches, je suis fidèle à l'atelier d'écriture de Gwen. J'adore écrire et obéir à ses sujets toujours subtils et originaux. Pour une fois, je vous livre le thème du jour et mon texte car cela a un rapport évident avec l'article précédent.
Voici un texte de Philippe Jacottet, extrait du recueil « Leçons »
Une stupeur
commençait dans ses yeux : que cela fût
possible. Une tristesse aussi
vaste comme ce qui venait sur lui
qui brisait les barrières de sa vie
vertes, pleines d’oiseaux
lui qui avait toujours aimé son clos, ses murs
lui qui gardait les clefs de la maison
Je vous propose de jouer un peu avec ce texte. Imaginez que c’est un morceau de papier que vous avez trouvé par terre. Des fragments ont disparus, des lignes intercalaires ont été effacées. Amusez-vous alors à reconstituer le texte dans son entier. Vous avez le droit de prolonger les vers, d’ajouter des lignes entre celles qui existent, mais par contre, vous devez garder la structure du poème et les vers doivent rester disposés tels qu’ils sont là. C’est à vos mots de s’adapter à ce cadre.
Michel Houellebecq ferma d'un clic le site du Nouvel'Obs. A sa grande stupeur, son dernier roman La carte et le territoire, avait reçu un accueil plutôt favorable de la part de la rédaction du magazine. Il ouvrit son fichier : « Poésie» et relut ce texte de Jacquottet qui trouvait en lui une résonance très forte.
Une stupeur
commençait dans ses yeux : que cela fût
possible...
Il laissa les mots faire leur chemin dans son esprit. Donnerait-il une chance à ce « possible » ? Il était bien dans son refuge irlandais avec pour seule compagnie son chien. Charcuterie à gogo, dessins animés idiots à la télé et de temps en temps, l'écriture quand celle-ci voulait bien se laisser apprivoiser. Et voilà que débarque cette femme... une universitaire spécialisée dans la littérature anglo-saxonne, passionnée d'ornithologie, qui ignorait jusqu'à l'existence même de ses livres... Depuis leur rencontre née du hasard dans le pub du village, il ne cesse de penser à elle, à leur discussion , à la bonne humeur et à l'énergie qui se dégageaient de cette femme. Mieux vaut ne pas y songer, elle serait capable de bouleverser sa routine et ses idées reçues. Un comble: elle aime Picasso, cette erreur de la nature.
Ses yeux se portèrent de nouveau sur le poème
Une tristesse aussi
vaste comme ce qui venait sur lui
qui brisait les barrières de sa vie
vertes, pleines d'oiseaux...
À la fin de la soirée, ils avaient échangé leur numéro de portable... Et s'il appelait ? Oh non, elle l'obligerait certainement à faire de longues promenades dans la campagne. Son teint hâlé montrait une amoureuse de plein air. Lui, c'est bien simple, la nature l'angoisse ! En même temps, c'est le chien qui serait content, il pourrait enfin quitter son panier où il semble porter toute la misère du monde. Mouais, il faudrait qu'il se secoue, qu'il quitte l'aura de tristesse qui était devenu sa marque de fabrique...
Petit coup d'oeil à l'écran
lui qui avait toujours aimé son clos, ses murs
lui qui gardait les clefs de la maison.
Il était sûr qu'elle n'accepterait pas de partager sa maison. D'accord, son pavillon était quelconque et son aménagement de plus minimalistes mais c'était son cocon, son refuge. Serait-il capable de se reconstituer un nouveau nid, de le partager ? Accepterait-elle de passer du temps entre quatre murs avec un phobique du dehors ?
Michel Houellebecq éteignit son ordinateur, se dirigea vers la cuisine, avala une tranche de rosette pour se donner du courage et tapa le numéro de téléphone de Marie. La sonnerie retentit, pourvu qu'elle aime la charcuterie...