Armande : cobaye littéraire
Lorsque le site de vente Priceminister m'a proposé d'arbitrer un match entre Michel Houellebecq et Virginie Despentes, mon premier réflexe a été : " Deux écrivains encensés et vilipendés tour à tour par le microcosme parisien, passons notre chemin !". Et puis, réflexion faite, j'ai accepté afin de me soumettre à une expérience scientifique des plus sérieuses : me métamorphoser en souris de laboratoire...
Objet de l'expérience : mesurer l'impact des préjugés sur la souris Armande. Elle prétend ne pas aimer un auteur sans même l'avoir lu.
1. première étape : analyse des préjugés
Après un interrogatoire serré, interrompu seulement par une pause graines de tournesol, Armande avoue qu'elle a vaguement entendu parler de l'auteur qui se serait spécialisé dans la "provoc" et surtout qu'il serait ami avec Frédéric Beigbeder que la souris tient pour un dandy un tantinet dégénéré.
Conclusion : notre cobaye ne s'appuie sur aucun fait concret pour justifier son peu de goût pour M.Houellebecq .
2. deuxième étape : lecture du roman
Première partie: notre cobaye se demande pourquoi il a accepté de se soumettre à ce test idiot. Le héros, Jed Martin, artiste de son état, est très préoccupé par l'état de son chauffe-eau ( C'est très dur de trouver un plombier à Paris, le sujet méritait d'être évoqué dans un livre...) et par le réveillon de Noël qu'il va passer en tête à tête avec son père. La relation père/fils réconcilie quelque peu notre souris avec une narration un peu plan-plan. Apparaît aussi Michel Houellebecq en personne qui va être sollicité pour écrire le texte d'accompagnement du catalogue des peintures de Jed Martin. Ce dernier réussit d'ailleurs à contacter l'écrivain misanthrope par le truchement de F. Beigbeder, dépeint avec une certaine complaisance. La souris se demande si elle ne va pas abandonner...
Deuxième partie: Armande se prend au jeu et commence à s'intéresser au personnage principal et à son existence conditionnée par les exigences de son art. Il ne peut s'attacher à personne (et laisse partir Olga, une belle Russe ! Ah le fantasme des filles de l'Est a encore des beaux jours devant lui...) pour s'enfermer dans son atelier et obéir aux diktats de l'inspiration. Il rend aussi visite à Houellebecq, dans son refuge irlandais, et l'écrivain apparaît à la souris aussi fragile que pathétique. Notre cobaye est "embarquée" par l'histoire.
Troisième partie : Ouin ! Un horrible crime est commis sur la personne de notre écrivain maigrichon et eczémateux. Son assassin, après lui avoir tranché la tête (ainsi qu'à son chien ! La souris s'offusque : un homme zigouillé, d'accord mais pas un animal !) a éparpillé son corps "façon puzzle". Et voilà le récit qui se transforme en roman policier. Attention, pente savonneuse, Armande est fan de polars, du genre puriste intégriste. M.Houellebecq respecte le schéma actuellement en vogue : un vieux commissaire désabusé, un petit jeune qui y croit encore et une équipe d'investigation aux personnalités diverses mais complémentaires. (C'est beau comme FBI, porté disparu...). A la fin, le coupable est retrouvé et notre cobaye est tout content (pas seulement parce que le criminel est châtié mais parce que l'auteur glisse un allusion à Francis Bacon, que notre souris attendait depuis la description de la scène du crime.)
Epilogue : Armande retrouve Jed Martin et ses problèmes de chauffe-eau. Heureusement, il déménage et choisit de s'installer dans la Creuse. Cette dernière partie du roman est celle qui lui a fait la plus forte impression, en particulier les dernières pages que notre souris a beaucoup appréciées.
Dernière étape : conclusion de l'expérience
Les préjugés de Dame Armande ne reposaient effectivement sur rien. Evidemment, il y a quelques passages qui se veulent provocateurs, des coups de griffe contre une certaine élite parisienne ou contre certains ruraux jugés bas de plafond par l'auteur. Ces quelques lignes ne me semblent pas très révélatrices du roman. Notre cobaye littéraire a été plus sensible à la tristesse sourde qui émane du personnage Houellebecq ou de son alter ego Jed Martin. Ces hommes paraissent ballotés par une existence dont ils n'arrivent pas à être les maîtres d'oeuvre et à laquelle ils ne parviennent même pas à trouver un sens. Loin de l'image que notre souris s'était faite de l'auteur, il lui est apparu comme un étrange bonhomme dont le dernier roman vaut le détour.
Post-Scriptum :
Il était temps que l'expérience s'achève: le cobaye ne peut plus voir les graines de tournesol en peinture ! (même peintes par Jed Martin...)