Adolfo Kaminski, une vie de faussaire
Quel incroyable destin que celui de cet homme, qui vécut dans l'ombre une bonne partie de son existence pour permettre à d'autres hommes de passer les frontières sans être inquiétés.
Sa fille, Sarah, à travers les recherches menées pour ce livre , va découvrir non pas son père mais un faussaire, amateur tout d'abord, pour les besoins de la Résistance, professionnel un court moment pour l'armée française et puis ensuite "free-lance" pour répondre aux besoins que sa conscience lui dicte de satisfaire. Lui-même dit que la fabrication de faux papiers ne lui est pas tombé dessus pas hasard. Il s'agit presque d'une vocation, née d'une enfance où lui et sa famille furent "trimballés" de pays en pays avant d'obtenir la nationalité argentine.
" Si je m'applique à te raconter ces histoires de mon enfance, c'est parce que c'est là-bas, en Turquie, que j'ai pris conscience de deux choses fondamentales, qui par la suite ont régi et conditionné la plupart des actes de résistance de ma vie. La première, c'est le pouvoir de l'argent et les injustices qu'il génère, et la seconde, c'est que sans papiers on est condamné à l'immobilité."
Adolfo Kaminski est un homme d'idées, de convictions. Il met ses talents de chimiste et de bricoleur de génie au service de causes qu'il estime justes. Il aidera les juifs, qui à la fin de la seconde guerre mondiale, voulurent quitter les camps européens pour entrer clandestinement en Palestine. Il rêvait d'un état israëlo-arabe où le principe de laïcité permettrait la paix entre les peuples. L'avenir démentira ses belles idées.
Il aidera les membres du FLN pendant la guerre d'Algérie, la colonisation lui apparaissant comme une forme moderne d'esclavage.
Il aidera ensuite de nombreux ressortissants sud-américains ou africains à fuir leur pays sous le joug de gouvernements proches de la dictature.
Le lecteur n'adhère pas forcément à toutes les idées de cet homme mais son intégrité est indéniable, de même que sa soif de panser les plaies d'un monde toujours en guerre. Jamais il n'acceptera d'argent pour le travail effectué, de manière à garder son entière indépendance. Dans une époque où l'argent est devenu le veau d'or, cette attitude l'honore et confirme le caractère presque "sacré" qu'il donne à son engagement.
Il sacrifiera d'ailleurs beaucoup à cet engagement. Les femmes qui l'accompagneront aux différents moments de sa vie devront toujours le partager avec la dernière "cause" pour laquelle il reprendra son activité de faussaire. Sa "profession" l'oblige à être un homme de l'ombre , à se tapir, et ses compagnes successives s'accommoderont mal de ce mode de vie. Je ne crois cependant pas qu'il regrette d'avoir choisi l'ombre et pas la lumière. Je lui laisse le mot de la fin.
" A ma façon, et avec les seules armes à ma disposition - celles des connaissances techniques, de l'ingéniosité et des utopies inébranlables-, j'ai pendant presque trente ans combattu une réalité trop pénible à observer ou à subir sans rien faire, grâce à la conviction de détenir le pouvoir de modifier le cours des choses, qu'un monde meilleur restait à inventer et que je pouvais y apporter mon concours. Un monde où plus personne n'aurait besoin d'un faussaire. J'en rêve encore."