A l'angle du renard de Fabienne Juhel
Cela faisait longtemps qu'un roman ne m'avait pas autant intriguée, voire perturbée. Le personnage principal, Arsène Le Rigoleur, est un paysan breton attaché à sa terre. Il entretient d'ailleurs avec son environnement naturel un lien presque animal. La narration à la première personne nous plonge dans son univers intime qui est plus celui d'un renard que d'un homme.
Au premier abord, le lecteur pourrait le juger frustre, ce qui est loin d'être le cas. Il est capable de réflexions d'une grande finesse et sonde les êtres avec justesse mais l'on sent qu'il est plus dirigé par son instinct que par la raison ou les règles communément admises par la société.
L'histoire démarre lorsque la ferme voisine est rachetée par une famille de la ville et que Juliette, cinq ans, entreprend de transformer Arsène en "tonton". Il se laisse faire mais est plus attiré par Louis, huit ans, sa chevelure rousse, son aspect sauvage qui lui rappelle le renard qui sommeille en lui. Ces deux enfants vont servir de révélateurs, ils ramènent Arsène à son passé et aux pans d'obscurité de celui-ci, aux morts qu'il devrait avoir sur la conscience s'il possédait une conscience. C'est là le hic, ce personnage, parfois attachant, parfois poète, vit à la marge et se comporte comme un animal. Il se débarrasse de ceux qui lui ont fait du mal, à lui ou à sa mère avec une facilité déconcertante pour le lecteur. Fabienne Juhel se garde bien de porter un jugement sur sa créature de papier, à nous de nous "dépatouiller" avec Le Rigoleur !
Le style est remarquable, le parler paysan n'est jamais caricatural et quand le personnage principal évoque Marilou, une prostituée de couleur qu'il fréquente régulièrement, ses mots sont d'une profonde tendresse et d'une douce poésie.
Une lecture prenante, un personnage complexe, un style marquant !