L'intranquille de Gérard Garouste avec Judith Perrignon
Ce texte m'aura permis de découvrir un homme et son oeuvre picturale. J'ignorais jusqu'au nom de cet artiste contemporain qui pourtant jouit d'une reconnaissance internationale. J'ai attendu d'avoir achevé ma lecture pour regarder ses toiles et comme de nombreuses clefs pour interpréter celles-ci se trouvent dans sa vie privée, j'ai eu plaisir à essayer de les comprendre à la lumière de l'autobiographie du peintre.
Evoquer son enfance apparaît comme une épreuve douloureuse pour Gérard Garouste. Son père, marchand de meubles qui profita, pendant la Seconde Guerre Mondiale, des biens des Juifs déportés, revient tout au long du récit comme une figure terrifiante, violente dont pourtant l'auteur ne peut se détacher. A l'antisémitisme primaire de son père, il répondra de manière consciente au inconsciente, en épousant Elizabeth, de confession juive mais non pratiquante et surtout en apprenant l'Hébreu et en étudiant la Torah. Gérard Garouste semble n'avoir de cesse de vouloir réparer les fautes commises par son père, comme si celui-ci avait perpétré une dette envers le peuple juif que son fils se devait d'honorer. Une question vient forcément à l'esprit : les crimes de nos parents sont-ils les nôtres ? L'auteur, à l'évidence, répondrait par l'affirmative.
Ce poids du passé familial conditionne son existence et surtout sa peinture. Intéressée par l'art contemporain, j'ai beaucoup apprécié les pages dédiées à son art et son jugement sur Picasso, peintre qui me fascine : "Quant à Picasso, qui allait bientôt mourir, il avait dévoré l'héritage, il était de ces génies qui tuent le père et le fils. Il avait peint jusqu'au bout et magistralement cassé le jouet. Il avait cannibalisé, brisé la peinture, ses modèles, ses paysages, et construit une oeuvre unique". La peinture va être salvatrice pour l'auteur, le cancre va trouver sa voie et pouvoir par ce biais tenter de "se purger" de son enfance et de son éducation. Mais les blessures de l'enfance sont terribles et parfois mènent à la folie.
Gérard Garouste parle dans ce livre de sa maladie, il est "bipolaire" et se perd souvent dans des délires qui obligent ses proches à le faire hospitaliser. Les pages qu'il consacre à "ses pertes de contrôle" sont terribles car elles montrent qu'il ne peut en rien prévenir ni agir sur ses crises qui le coupent du monde et des siens pour de longues périodes. Il vit avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête et sait la fragilité de son équilibre mental :
"Si je ris, si je parle beaucoup, si j'ai l'air très en forme, si j'écoute de la musique très fort, si je danse, si je fais rire les autres, alors il faut s'inquiéter. Le pire est à venir. Etre heureux est dangereux pour moi, être en colère aussi. L'émotion forte m'est interdite. Elle bouscule trop de choses dans ma tête aux pensées et aux souvenirs mal accrochés."
Le livre se termine sur une note optimiste. Pour moi, qui ai suivi avec intérêt et compassion le parcours de Gérard Garouste, j'espère de tout coeur qu'il trouvera l'apaisement tant recherché.
Un très beau livre...
Livre chroniqué dans le cadre du Grand Prix des Lectrices de Elle