Mausolée de Rouja Lazarora
Ce livre est jusqu'à présent mon plus gros coup de coeur du Grand Prix des Lectrices de Elle. Rouja Lazarova ouvre aux lecteurs une porte sur un monde que l'on croyait connaître à travers les livres d'histoire mais qui apparaît sous un jour totalement différent dans ce roman.
Elle a choisi de nous montrer la Bulgarie communiste de manière originale : de l'érection du mausolée destiné à abriter la dépouille de Gueorgui Dimitrov, premier Président communiste et poulain de Staline, jusqu'à la destruction du monument, qui marque l'entrée de la Bulgarie dans une ère où souffle un peu plus le vent de la liberté.
Elle prend aussi le parti de donner la parole aux femmes, à Gaby, sa fille Rada et sa petite-fille Milena. Au fil des années, nous les verrons s'accommoder plus ou moins bien de l'idéologie dominante et de l'embrigadement qui asservit la population. A leur façon, elles tenteront de lutter contre le régime, choisissant par exemple des prénoms neutres, peu destinés à flatter le régime en place. Rada constate, dès l'école primaire que sa camarade Miroslava est la préférée des professeurs, il faut préciser que " Miro-slava, Gloire-à-la-paix,(est) un de ces prénoms forgés par les linguistes du régime. Ces savants creux accordaient une grande attention aux mots, les dénaturaient, les enchaînaient artificiellement, les amputaient. Ils fabriquaient de nouveaux idiomes, des créations linguistiques hybrides. Ils inventaient un langage. Ils s'intéressaient aux prénoms : à travers eux, ils pénétraient jusqu'au plus profond de l'identité, et l'altéraient."
Devenue mère, Rada s'efforcera à son tour de permettre à Milena de s'affranchir du groupe, du collectif qui uniformise et supprime l'individu en le fondant dans la masse. Sa petite révolte passera par un détournement subtil de l'uniforme : "Avec sa machine à coudre, maman détournait la jupe bleu marine. Elle parvenait à se procurer quelques exemplaires datés de la revue allemande Burda, avec ses patrons de coupes occidentales glissés en dernière page, et me cousait des vêtements qui tranchaient avec la confection socialiste." Ces actions peuvent sembler dérisoires mais dans un pays où la moindre singularité est une faute grave, qui peut avoir les pires conséquences, elles représentent déjà une prise de risque non négligeable.
Ce livre dresse un tableau sans concession de la période 1944-1990 en Bulgarie. Le lecteur est placé du côté des plus humbles, de ceux qui subissent sans comprendre l'absurdité d'un système qui broie le "je" pour le remplacer par un "nous" utopique. Milena, à la fin du récit, se rend à Paris et rencontre quelques nostalgiques du communisme. Elle, dont la mère et la grand-mère ont souffert dans leur chair de ce régime, ne comprend pas ces interlocuteurs. Elle se dit alors "qu'il était encore impossible d'écrire l'histoire du communisme".
C'est pourtant l'exploit auquel est parvenue Rouja Lazarova dans un roman que je qualifierai de magistral.
Livre chroniqué dans le cadre du Grand Prix des Lectrices de Elle
Elle a choisi de nous montrer la Bulgarie communiste de manière originale : de l'érection du mausolée destiné à abriter la dépouille de Gueorgui Dimitrov, premier Président communiste et poulain de Staline, jusqu'à la destruction du monument, qui marque l'entrée de la Bulgarie dans une ère où souffle un peu plus le vent de la liberté.
Elle prend aussi le parti de donner la parole aux femmes, à Gaby, sa fille Rada et sa petite-fille Milena. Au fil des années, nous les verrons s'accommoder plus ou moins bien de l'idéologie dominante et de l'embrigadement qui asservit la population. A leur façon, elles tenteront de lutter contre le régime, choisissant par exemple des prénoms neutres, peu destinés à flatter le régime en place. Rada constate, dès l'école primaire que sa camarade Miroslava est la préférée des professeurs, il faut préciser que " Miro-slava, Gloire-à-la-paix,(est) un de ces prénoms forgés par les linguistes du régime. Ces savants creux accordaient une grande attention aux mots, les dénaturaient, les enchaînaient artificiellement, les amputaient. Ils fabriquaient de nouveaux idiomes, des créations linguistiques hybrides. Ils inventaient un langage. Ils s'intéressaient aux prénoms : à travers eux, ils pénétraient jusqu'au plus profond de l'identité, et l'altéraient."
Devenue mère, Rada s'efforcera à son tour de permettre à Milena de s'affranchir du groupe, du collectif qui uniformise et supprime l'individu en le fondant dans la masse. Sa petite révolte passera par un détournement subtil de l'uniforme : "Avec sa machine à coudre, maman détournait la jupe bleu marine. Elle parvenait à se procurer quelques exemplaires datés de la revue allemande Burda, avec ses patrons de coupes occidentales glissés en dernière page, et me cousait des vêtements qui tranchaient avec la confection socialiste." Ces actions peuvent sembler dérisoires mais dans un pays où la moindre singularité est une faute grave, qui peut avoir les pires conséquences, elles représentent déjà une prise de risque non négligeable.
Ce livre dresse un tableau sans concession de la période 1944-1990 en Bulgarie. Le lecteur est placé du côté des plus humbles, de ceux qui subissent sans comprendre l'absurdité d'un système qui broie le "je" pour le remplacer par un "nous" utopique. Milena, à la fin du récit, se rend à Paris et rencontre quelques nostalgiques du communisme. Elle, dont la mère et la grand-mère ont souffert dans leur chair de ce régime, ne comprend pas ces interlocuteurs. Elle se dit alors "qu'il était encore impossible d'écrire l'histoire du communisme".
C'est pourtant l'exploit auquel est parvenue Rouja Lazarova dans un roman que je qualifierai de magistral.
Livre chroniqué dans le cadre du Grand Prix des Lectrices de Elle