Un chant incantatoire pour conjurer l'absence

Publié le par Armande

 
  Le 11 mars 2008, le père adoptif d'Eric Fottorino s'est donné la mort d'un coup de carabine. Son corps a été découvert dans sa voiture, garée sur un parking d'un quartier nord de La Rochelle.
   Ces quelques lignes, qui ont la sécheresse d'un fait divers, vont foudroyer l'auteur. Son livre me semble être le moyen qu'il choisit, si tant est qu'on choisisse d'écrire, pour exprimer l'amour qu'il éprouvait pour cet homme. Cette démarche au début m'a heurtée, ma conviction profonde est que le deuil est de l'ordre de l'intime et ne se partage qu'avec ses proches. Puis, j'ai passé outre cette réticence, chacun compose comme il peut avec sa douleur. Si Eric Fottorino trouve l'apaisement à travers l'écriture qui, pour lui, redonne souffle et vie à son père, il ne me reste plus qu'à m'incliner et découvrir Michel, kiné aux mains d'or et au verbe rare.
   Pour Eric Charbrerie, la vraie vie à  commence  à neuf ans avec l'arrivée de cet homme qui apportera sa force tranquille et sa lumière au duo que formaient l'enfant avec sa mère, seule à l'élever et de ce fait mal vue par la société. Il devient Eric Fottorino, va porter ce nom "comme un talisman, qui sentait la Tunisie du Sud, les pâtisseries orientales, l'accent de là-bas, la chaleur et le bleu du ciel, les dunes de Tozeur et le miel". Il boit les rares paroles de Michel, il s'imprègne de la culture de sa nouvelle famille, il absorbe leurs souvenirs pour mêler sa vie et la leur et se fondre dans la chaleur de la tribu Fottorino. Il se remplit de couscous poulet, de salade méchouïa, de makrouds et de thé à la menthe, il se remplit surtout d'amour pour celui qui lui offre son coeur et une nouvelle identité.
   Comment accepter le suicide de son "plus que père" ? L'auteur se replonge dans leurs premières années communes, le ressuscite à travers ses petits gestes du quotidien, sa façon bruyante de boire son café ou sa lecture hebdomadaire du Canard enchaîné. Il rappelle à lui tous les moments heureux pour oublier que celui-ci a décidé de les quitter, en pleine maîtrise de ses moyens mais en faillite personnelle pour avoir négligé les paperasses obligatoires dans toute profession libérale. Il opère un va et vient permanent entre cet "autrefois" où Michel Fottorino était le roc sur lequel il a pu s'appuyer pour grandir et cet "aujourd'hui" où ne subsistent que des questions. Pourquoi un tel acte ? Il cherche dans l'enfance de son père aussi bien que dans sa vie d'adulte la faille, la blessure qui a pu mener son "héros" à ce geste extrême.
   L'écriture n'est pas linéaire, l'auteur avance dans son livre au gré de ses interrogations , de son besoin de parler de son père pour le faire revivre à travers les mots posés sur le papier.
"Ecrire ces mots, me ressouvenir des recettes, de la sauce marga au rouge adouci par le bouton de rose, du couscous sucré avec les graines de grenades coupées en petits morceaux, le tout exhalant un parfum de fleurs d'oranger, écrire cela me ramène quelque chose de mon père, ses mimiques joyeuses avant de passer à table, ses évocations du pain arabe encore tiède qu'il trempait, gamin, dans l'huile d'olive fraîche versée dans une assiette creuse..."
   Ce portrait, forcément subjectif, de Michel Fottorino est un magnifique témoignage d'amour,
un au-revoir que le lecteur est invité à partager, un chant incantatoire pour retenir encore un peu celui qui a décidé seul de l'heure de son départ.
Livre chroniqué dans le cadre du Grand Prix des Lectrices de Elle
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
K
Ce thème me touche beaucoup... mais je ne sais pas si je saurai passer outre mon apriori, qui est un peu le même que tu avais au début... j'ai un peu de mal avec le deuil étalé...
Répondre
A
<br /> Je viens d'achever un autre roman sur le deuil "La Chanson de Charles Quint" d'Erik Orsenna. J'ai nettement préféré celui de Fottorino, infiniment plus touchant.<br /> <br /> <br />
E
C'est un livre que j'ai noté, il y a peu, mais que je compte bien lire prochainement. Merci pour ce billet. Bisous.
Répondre
A
<br /> Beaucoup d'émotions t'attendent !<br /> <br /> <br />
V
Armande, je viens de te taguer. Pour en savoir plus, rendez vous sur mon blog à la date du 23/08.
Répondre
A
<br /> J'y vais de ce pas ...<br /> <br /> <br />
L
On accepte pas le suicide d'un proche tu as raison on vit avec.
Répondre
A
<br /> Ce mystère d'un départ voulu ne peut jamais s'oublier.<br /> <br /> <br />
V
il est sur ma LAL .Je vais aller le réserver à la médiathèque aujourd'hui. merci pour ce billet.
Répondre
A
<br /> C'est un roman "d'amour" assez extraordinaire !<br /> <br /> <br />