Nous étions les Mulvaney de Joyce Carol Oates
C'est un roman qui m'a irrésistiblement attirée mais poussée dans mes retranchements en tant que lectrice. J'ai énormément de mal à prendre de la distance par rapport aux personnages, surtout lorsque ceux-ci sont tellement réalistes qu'ils pourraient presque être nos voisins de palier.
Les Mulvaney forment en cette année 1976 une famille unie qui fait des envieux : des parents amoureux, des enfants élevés à la campagne au milieu de chevaux, de chiens, de chats et de Plume, le petit canari qui ajoute sa petite note à la partition de ce qui pourrait être "la mélodie du bonheur". Cette présentation idyllique ne doit pas laisser imaginer un récit mièvre. L'auteur sait admirablement restituer par une myriade de détails les petits riens qui constituent le quotidien d'une famille américaine vivant dans l'Etat de New-York.
Marianne"Bouton" Mulvaney, dix-sept ans, est la seule fille de la tribu et la prunelle des yeux de son père. Elle fait partie de l'équipe des supporters de l'équipe de football, est populaire dans son lycée et ne pose aucun problème à ses parents. Sa photo trône souvent sur le panneau de liège de la cuisine, où sa mère consigne tous les menus triomphes de sa progéniture. Seulement, un soir de bal, "Bouton", trop naïve, se laisse enivrer et est violée par un élève de Terminale. Fini le temps de l'innocence, les Mulvaney devront à présent vivre avec "ça"... Ce drame aura des répercussions sur tous les membres de la famille et chacun, au fil de l'histoire, racontera sa vision de cet événement et les conséquences de celui-ci sur sa propre trajectoire.
le narrateur n'apparaît que très rarement et très discrètement . Le lecteur est donc dans l'obligation de suivre les raisonnements et les pensées de chacun des personnages et de se forger sa propre opinion. Les chapitres qui donnent la parole à Marianne m'ont serré le coeur, ceux consacrés au père m'ont fait serrer les poings.
Ce roman nous montre par des retours en arrière et des anticipations la naissance de cette famille et sa cruelle déliquescence.La famille est inséparable d'un lieu,High Point Farm, qui sera pour les enfants devenus adultes une sorte de paradis perdu, celui de l'enfance.
Qui n'a pas dans un recoin de sa mémoire une maison, peut-être aujourd'hui disparue, qui a beaucoup compté lors de ses premières années. Elle bruit, pour moi, des voix des mes grands-parents, de disputes avec mes soeurs, de rires en écoutant les histoires racontées par ma mémé, des grincements de la vieille patinette,du frottement de la brosse dure sur les vêtements, dans l'appentis où se trouvait le lavoir. Elle sent les oeillets et les confitures, l'eau de Cologne et la citronnade. Qu'il ferait bon parfois y retourner ! A chacun son "Rosebud"...