Les mystères de mon pays
La couverture d'un noir assez spectaculaire annonce bien la couleur de ce roman-fleuve. Si fleuve il y a, ses eaux sont bien sombres, corrompues par le sang que font couler les puissants : Iraniens ou Américains. L'auteur, dans cette histoire, sonde le coeur de ceux qui font et défont l'Histoire et la Géographie du peuple iranien et la noirceur de leurs desseins est terrible .
La géopolitique apparaît sous son jour le plus sombre. L'histoire se déroule essentiellement dans les années 50 et la lutte contre le communisme au début du roman justifie toutes les exactions commises en commun par l'administration du Shah et les services secrets américains.
Sa plume ne se fait plus tendre que pour parler de ses frères de misère, quelques-uns fascinés par l'aura du pouvoir restent fidèles au général Shâdân,malgré les rumeurs sur son existence dissolue.Celui-ci sévit dans la ville de Tanbriz où la population est à majorité azérie. Certains voit en cet homme l'allié des Américains, perçus comme une force d'occupation. Un couple est même contraint de "vendre" son enfant à un jeune gradé américain stérile, cet "achat" se présentant sous la forme fallacieuse d'un geste humanitaire. En effet, la famille de la petite fille vit dans le dénuement le plus complet.
Réza Barahéni multiplie les points de vue pour faire saisir au lecteur toutes les subtilités de cette période de l'histoire de son pays. Il donne la parole aux siens : interprète à la solde des Etats-Unis ou marchand de savon, il la donne aussi aux Américains, par exemple au travers du journal du lieutenant-colonel Biltmore. Tous ces témoignages s'enchassent de manière subtile pour dresser un tableau sans concession de l'Iran.
Cette construction à elle seule pourrait rendre le récit remarquable mais pas inoubliable. Ce qui m'a charmée, au sens étymologique du verbe, c'est l'art du conteur qui transparaît à chaque page. Les personnages évoluent à la frontière entre la réalité et le mythe. Le général Shâdân, sa femme Soudâbeh semblent par moments tout droit sortis des récits les plus cruels des "Mille et Une Nuits", que dire alors du loup du mont Sabalân, légende locale, qui dès les premières pages, prend vie pour donner la chasse et tuer un soldat américain.
Réza Barahéni écrit avec un style imagé, dont la beauté ne fait cependant pas oublier les cruautés d'une société où seuls les "Machiavel" s'en sortent.
Le lecteur sort ébranlé de ce roman, dont l'âpreté ne peut laisser indifférent.
Les mystères de mon pays est un bijou sombre : une obsidienne au mille reflets.
Je remercie Lilas Seewald et les éditions Fayard pour cette belle découverte.