Le brodeur de la nuit de Daniel Cario
Ne boudons pas notre plaisir, Daniel Cario a écrit un excellent roman du terroir. D'aucuns diront que le style est un peu trop "léché", que le goût de la phrase bien faite peut amener à un excès d'adjectifs recherchés... mais ce petit défaut ne m'a pas empêchée d'apprécier énormément l'histoire de Jacquot Le Louarn, orphelin de douze que va adopter le vieux tailleur-brodeur Jacob Kemeneur.
L'action se déroule à Locronan, dans la première moitié du XIXème siècle et la vie quotidienne des Bretons est encore pétrie par la religion et les superstitions. L'on craint Dieu mais tout autant les Korrigans ou l'Ankou et sa faux à l'envers. D'ailleurs la mort frappe dès le début en emportant Célina, la mère de Jacquot. C'est en allant chercher du secours pour celle-ci que l'adolescent va rencontrer le tailleur qui deviendra son maître. Ce dernier offrira même à la mère indigente le costume qu'il avait coupé et brodé pour sa future, qu'il n'a jamais trouvée.
"La défunte gisait dans un magnifique costume. Le corsage de drap rouge vif dévoilait la chemise blanche, et au-dessous s'étalait la jupe, immense corolle plissée, de la même couleur. On eût dit une princesse assoupie aux mains tenues jointes sur la poitrine par un chapelet entrelacé parmi les doigts et autour des poignets."
Jacquot va faire l'apprentissage du métier de tailleur-brodeur sous la houlette du vieux Kemeneur qui souffre de cararacte et souhaite transmettre son savoir avant que ses yeux ne s'éteignent. Le garçon accompagnera le tailleur de ferme en ferme au gré des contrats obtenus.Il découvrira alors que le tailleur est à la fois moqué pour son travail, qui ne requiert pas la même force que les travaux des champs et le fait passer pour une mauviette. Mais que sa présence est pourtant attendue car en plus de son talent d'aiguille, les paysans attendent de lui qu'il leur conte des histoires à faire dresser les cheveux sur la tête.
Le récit abonde en personnages aussi sinistres qu'inquiétants comme Finette le Bert, mi-femme, mi-fouine qui poursuivra de sa vindicte Jacquot pour avoir tué accidentellement son mari ou le guérisseur Barac'h qui symbolise toutes les forces obscures que les Bretons n'évoquent qu'avec effroi. D'autres personnages, au contraire, représentent le progrès comme le docteur Hermeline ou les frères Kerlo qui vont inciter Jacob Kemeneur a évolué dans son art.
En lisant certaines pages de ce roman, j'avais l'impression d'entendre mon père raconter des épisodes de son enfance. Vous me direz qu'il n'est pas né au XIXème siècle...Non, il a vu le jour en 1943 à Kernével, une petite commune du Sud-Finistère mais la vie en Cornouailles avant la Seconde Guerre Mondiale avait peu évolué et ressemblait encore beaucoup à celle décrite par Daniel Cario.
Pour les passionnées de broderie comme moi, le complément idéal à cette lecture se trouve aussi à la Coop Breizh. Il s'agit de Broderies en Bretagne,un vrai régal pour les yeux et une source de documentation intéressante...