Le meilleur de nos fils de Donna Leon
J'ai choisi un roman policier de Donna Leon pour le défi "cinq polars des cinq continents" car l'auteur fait partie de ces femmes que j'admire. Elle incarne pour moi la rigueur intellectuelle et morale alliée à un épicurisme très italien. Cette Américaine, qui vit à Venise depuis plusieurs dizaines d'années, a inventé un personnage, le commissaire Brunetti, natif bien évidemment de cette ville, qui partage avec sa créatrice une vision très désenchantée de la société italienne contemporaine.
Ce roman, qui est mon préféré de la série des "Brunetti", débute par le "suicide" d'un jeune cadet dans une école, l'Académie, qui se donne des allures militaires, mais est surtout l'occasion pour des jeunes hommes "bien nés" de se retrouver entre eux et de se persuader qu'ils appartiennent à une élite, qui ne saurait se mêler au commun des mortels.
Les premières pages sont très fortes... le commissaire assiste à la scène où le père de l'adolescent, retrouvé pendu, tient pour la dernière fois son fils dans ses bras.
" Le tableau d'un homme de sa génération serrant dans ses bras le corps sans vie d'un fils de l'âge du sien eut quelque chose de terrifiant qui obligea Brunetti à fermer les yeux."
Nore enquêteur va tenter de faire le jour sur ce suicide suspect et devra se frotter à sa propre hiérarchie, frileuse à l'idée d'inquiéter des personnes haut placées. Comme toujours dans les romans de Donna Leon, nous suivons le commissaire pas à pas, aussi bien au sens propre quand il se déplace dans Venise qu'au sens figuré quand tous les éléments de l'énigme se mettent peu à peu en place dans son esprit. Nous pénétrons aussi régulièrement dans son intimité familiale, dans son appartement où Paola, sa femme, entre deux cours d'Anglais à l'université où elle enseigne, prépare pour sa tribu des plats réconfortants qui vont oublier à Brunetti, du moins pour quelques heures, la noirceur du monde.
"Il se laissa envahir par l'odeur et essaya de se souvenir d'où il l'avait déjà sentie. Il savait qu'il la connaissait bien , comme une mélodie qu'on identifie facilement sans pouvoir dire de quelle oeuvre elle est extraite. Il essaya de séparer les arômes : en dehors de l'ail, il y avait la tomate, un peu de romarin, quelque chose de iodé et marin comme des crevettes ou des coques-plus probablement des crevettes-et peut-être des carottes. Mais c'était avant tout un univers aillé. Il évoqua ce qu'il avait éprouvé peu avant dans son bureau, cette impression de se noyer dans le malheur. Il inspira profondément, espérant que l'ail allait chasser tout cela. S'il était capable de chasser les vampires, il devait pouvoir exercer sa magie alliacée contre quelque chose d'aussi banal que le malheur"
Pénétrer dans l'univers de Donna Leon, c'est le temps d'une lecture retrouver Venise, ses splendeurs passées aussi bien que la corruption qui la gangrène . C'est surtout retrouver un personnage auquel je me suis attaché tant sa vision de la société est proche de la mienne.