Le monde sans les enfants de Philippe Claudel
Je furetais hier dans le grenier (et oui, depuis notre déménagement au mois d'août, tous mes livres, exceptés ceux de ma PAL et de mes caches secrètes, dorment dans des cartons dans cette pièce peu hospitalière. Je sais, vous ne comprenez pas ma cruauté envers ces petits "chéris" : du poche acheté en bouquinerie aux plus prestigieux volumes de la Pléiade, mais il y a une raison simple à cet exil dans ces contrées lointaines : la place ! Ces créatures de papier sont si nombreuses qu'ouvrir la porte du grenier s'apparente à ouvrir la boîte de Pandore : une déferlante de littérature pourrait envahir mon doux foyer ! Ma moitié réfléchit à une solution pour cet épineux problème... Rassurez-vous, il ne songe pas à me faire abandonner mes livres (S'il touche à mes romans, je m'attaque à ses BD),mais calcule pour savoir le nombre d'étagères nécessaires pour accueillir tout ce petit monde.) à la recherche de "la petite fille de monsieur Linh" de Philippe Claudel que je souhaitais relire, après avoir lu deux billets récemment écrits sur ce roman. J'ai enfin mis la main dessus après un bon quart d'heure et j'ai aussi retrouvé ce recueil de nouvelles .
Certaines me plaisent tellement qu'il m'arrive d'en lire à mes élèves, à la fin d'une heure de cours. Je choisis souvent "le dur métier de fée" où l'auteur en quelques lignes nous montre les dégâts que notre société matérialiste et sans imagination peut provoquer chez les enfants. L'histoire est celle d'une fée qui apparaît à Coraline, six ans, et qui se fait proprement chasser par une demoiselle d'une terrible maturité. Il est vrai que la fée est très maladroite et transforme l'ours en peluche de Coraline non pas en prince charmant mais en poireau mais elle ne mérite certainement pas le renvoi ferme qui lui est imposé.
" De grosses larmes coulaient sur les joues de la fée. Elle éclata en sanglots. Coraline, qui n'était pas une mauvaise fillette, lui tendit un mouchoir.
" Madame, reprenez-vous, un peu de dignité s'il vous plaît."
La fée s'essuya, se moucha bruyamment, se gratta la joue avec sa baguette, s'affala sur le lit et de ses yeux rougis regarda Coraline.
"Je sors d'une longue période de chômage. C'est tellement dur de ne pas travailler pendant des années. Je ne sais plus trop m'y prendre."
Coraline s'approcha d'elle et lui tapota le dos.
"ça reviendra, dit-elle, ça reviendra... Il doit exister des stages de remise à niveau.
- Tu crois ? demanda la fée avec une pointe d'enthousiasme.
- Mais oui, j'en suis sûre.
- Je suis peut-être trop vieille...
- Mais non, mais non, et puis, vous devriez aussi aller chez un psychothérapeute, c'est utile dans les périodes difficiles. C'est important de se reconstruire, de rebondir, de croire en soi : nous sommes dans une société qui n'aime pas les perdants. Du neuf quoi ! Soyez une tueuse !"
La fée seriale killeuse, cela laisse ... comment dire ... "rêveuse".