L'enchanteur et illustrissime gâteau café-café d'Irina Sasson
Je ne suis l'actualité des blogs de littérature que depuis six mois et ce gâteau café-café apparaît de manière récurrente, la plupart du temps comme coup de coeur de l'année 2007.Je me le suis donc procuré...
Déjà le titre, d'une longueur inhabituelle et d'un charme désuet, ne pouvait que m'attirer. Ce court récit m'a énormément plu pour des raisons très diverses. La première est que cette très vieille dame, presque 101 ans, m'a rappelé ma grand-mère et sa ruse pour faire croire à son médecin que sa mémoire n' était pas défaillante. Elle avait des aide-mémoires cachés dans les tiroirs de sa cuisine : l'un avec la date de son mariage, l'autre avec le nom du Président de la République en exercice... Elle avait remarqué qu'à chacune de ses visites le généraliste lui posait les mêmes questions et, elle révisait une de ces questions à chaque fois qu'elle ouvrait un tiroir pour y prendre un ustensile.
Irina utilise une technique assez semblable.
" Maintenant, dans le grand âge qui était le sien, Irina veillait à entretenir sa mémoire. Chaque jour, quand elle avait fini de se répéter une phrase, jamais la même, dans les sept langues que sa vie l'avait amenée à parler - il lui fallait parfois des heures pour faire affleurer ce qu'auparavant elle n'avait qu'à cueillir - elle passait au gâteau café-café"
La recette va nous apparaître petit à petit au long des chapitres, le début toujours repris en intégralité et complété par une nouvelle étape de la confection du gâteau. Cette recette revient comme un refrain, comme un élément fixe aussi dans la vie d'Irina, fait pour célébrer les événements heureux et parfois pour épater "la galerie". Fraîchement épousée, elle suit son mari à Batenda et va affronter les dames de la bonne société sur leur terrain : le café !
"C'était une sorte de défi que ce soit toi, nouvelle venue de France qui fasses goûter et prétendes faire découvrir aux gens de la colonie, dont certains avaient des plantations de café sur des faziendas grandes comme des provinces, ce que pouvait être la saveur exaltée d'un entremet au café. Une sorte d'hymne à son parfum."
Irina n'aura pas une vie facile, auprès d'un mari aimant mais peu démonstratif, plus prompt à se mettre en colère qu'à converser avec elle. Sa fille Djoïa lui fera cependant souvent oublier ses peines et son déchirement d'avoir perdu les siens, déportés à la fin de la guerre et jamais revenus ainsi que la France, le pays de son adolescence.
"Dans la journée, je vivais pour Djoïa, j'existais au travers des rôles qu'Adriano m'avait attribués. La nuit, il me fallait me ramasser à nouveau au plus près de moi-même, prendre garde à ne pas être emportée dans le désert de l'exil et de la solitude, les trop vastes demeures, les odeurs familières mais pourtant étrangères, la langue apprise sans mal et dite plutôt bien je crois, mais qui ne me parlait toujours pas."
Les souvenirs égrenés par Irina ne sont pas tous empreints de tristesse. Certains événements auraient pu la briser : la perte de sa famille, son amour fou pour un attaché culturel français Ambroise , amour qu'elle ne pourra vivre pleinement que le temps d'un voyage à Madruche. Mais, au soir de son existence, elle comprend que ces malheurs n'auront pas été toute sa vie, il y aura eu aussi tous ces minuscules bonheurs quotidiens, qu'il ne faut jamais oublier de comptabiliser, le plaisir par exemple de préparer pour sa famille un gâteau café-café.
"A la faveur d'une bouchée du gâteau et d'une gorgée du vin ambré, Irina se réconcilia aves ses joies et ses douleurs."
Joëlle Tianao a écrit un texte émouvant, une partition qui joue sur les souvenirs, les sens et les sentiments : un très joli roman.