Cosmofobia

Publié le par Armande

Drôle de couverture que celle de droite: des flamants roses regardant quelque chose que le lecteur ne peut que deviner... Généralement, quand je me heurte à une difficulté d'interprétation, je me lance dans les théories les plus alambiquées. Pour Lucia Etxebarria, l'être humain ressemble-il à un flamant, en équilibre précaire sur une seule patte ? Tous ces flamants symbolisent-ils l'auteur qui se démultiplie pour épouser tour à tour le point de vue de chaque personnage ? Ou alors, l'éditeur cherche-t-il à m'obliger à me triturer les méninges, juste histoire de que je ne m'ennuie pas pendant les vacances d'été ?
Laissons de côté toute tentative d'interprétation de la couverture pour parler d'un roman qui évoque la condition féminine  de nos jours en Espagne.
Nous sommes au coeur d'un quartier populaire de Madrid, plus précisément dans une école désaffectée qui sert de garderie pour les enfants dont la situation familiale est difficile et de centre d'écoute pour des femmes victimes de maltraitance.Le lecteur partage un petit morceau du quotidien des hommes et des femmes qui gravitent autour de ce centre, qu'il s'agisse des éducateurs, des enfants ou des jeunes femmes qui participent au groupe de paroles.
Le livre nous permet de découvrir des portraits féminins poignants de justesse, de femmes de couleurs différentes, de cultures différentes mais qui partagent souvent le même mépris de la part des hommes et la même difficulté à se séparer d'un compagnon épouvantable, par peur de la solitude ou de ne pas pouvoir subvenir seules à leurs besoins.
Ce roman, pourtant, est loin d'être triste, il bruisse de toutes les voix du quartier, il bat au rythme des joies et des chagrins , il parle de la vie qui s'écoule, souvent insatisfaisante mais pleine de bonheurs minuscules qu'il faut savoir saisir.
L'extrait que j'ai choisi nous présente l'un des rares hommes qui tire son épingle du jeu dans le roman. Il s'agit d'Ismael, un jeune Africain né en Côte-d'Ivoire, qui finit après un long parcours par échouer en Espagne. Il est sur le point d'accepter un travail précaire de vendeur pour pouvoir économiser et retourner dans son pays, qui lui manque cruellement.
"Il ressent parfois comme un élancement au creux de l'estomac: la solitude inexorable de l'absence, l'oubli qui estompe chaque jour, chaque heure davantage, le visage de sa mère et de ses soeurs, tandis qu'il s'efforce de survivre dans cette ville dense comme un nid d'insectes vénéneux. Il sait que les sentiments les plus douloureux sont les plus absurdes: l'angoisse des choses impossibles, la nostalgie de ce qu'on n'a pas vécu, le désir de ce qui pourrait avoir été, l'envie de ce qu'ont les autres, l'insatisfaction devant l'existence ici-bas, c'est pourquoi il essaie de se dire qu'il est heureux, qu'il a un travail, un ami, un endroit pour dormir, et qu'il est arrivé sain et sauf, sans se noyer dans les profondeurs de la mer. Pendant ce temps, d'autres personnes, toutes blanches, qui ne l'ont jamais vu et ignorent jusqu'à son existence, élaborent des programmes, écrivent des articles, signent des manifestes et rédigent des lois pour décider de son avenir."'

Publié dans littérature espagnole

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